J’emploie ici avec préférence le terme “adopter” plutôt qu’ “appliquer” car il s’agit d’un état d’esprit qui s’adopte et non d’une méthode qui s’applique.
Un état d’esprit slow pédagogie émerge en agissant sur 4 axes :
Le Larousse donne les définitions suivantes :
• Regarder quelqu’un, quelque chose avec attention ;
• Observer longuement ;
• Regarder, envisager quelque chose sous un certain angle ;
• Peser quelque chose, l’apprécier, le prendre en compte ;
• Respecter quelqu’un, l’avoir en estime.
Pour de multiples raisons, nous omettons souvent de considérer l’activité du jeune enfant.
A regarder l’enfant qui construit une tour de Légos, qui tourne les pages d’un livre en tissu, qui déshabille une poupée, qui tape dans un ballon, qui fait une course à 4 pattes, qui aligne minutieusement ses petites voitures, qui dessine des ronds sur son ardoise magique ou encore qui creuse un tunnel dans le bac à sable, on dira assez spontanément que l’enfant est en train de jouer.
Utiliser un seul et même terme pour des activités aussi variées que cela révèle assez bien la manière dont nous considérons celles-ci. Alors que l’enfant use de délicatesse pour construire sa tour, de concentration pour tourner les pages du livre, de motricité fine pour déshabiller sa poupée, de précision pour taper dans le ballon, de coordination pour faire une course à 4 pattes, de logique mathématique pour classer ses voitures, d’application pour bien fermer ses ronds dessinés et de stratégie physique pour que son tunnel ne s’écroule pas, nous estimons simplement et rapidement qu’il joue. Notre vision étriquée du contenu de l’activité de l’enfant nous amène alors à différentes attitudes vis-à-vis des enfants comme par exemple leur demander d’interrompre promptement ce qu’ils sont en train de faire pour venir manger (puisque ce qu’ils sont en train de faire n’est pas important, ils peuvent (et doivent !!) venir de suite), leur acheter des tas de jouets dits d’éveil ou leur faire enchaîner plusieurs propositions ludiques sur un temps resserré.
Nous sommes en réalité aveuglés par un décalage de vision entre nous –adultes – déjà porteur de connaissances et eux – enfants- en posture d’apprenants. Alors que pour nous l’activité à laquelle s’adonne l’enfant nous semble futile, elle est, pour lui, absolument géniale !
L’adulte est souvent plus vite lassé parce qu’il a déjà compris alors que l’enfant lui ne s’extraira pas d’une exploration tant qu’il n’a pas compris comment ça fonctionnait.
En acceptant de considérer que l’enfant n’est pas juste en train de jouer mais qu’il est attelé à un vrai travail exploratoire qui contribue à son développement intellectuel, moteur, affectif et relationnel, nos attitudes vis-à-vis de lui vont changer et nous allons entrer naturellement dans un état d’esprit de Slow pédagogie.
Ce regard attentif porté avec sincérité tient en lui une relation qualitative très bénéfique pour l’enfant. En considérant mieux l’activité de l’enfant, nous considérons aussi mieux l’enfant lui-même. Ainsi nous contribuons directement au développement de son estime de soi. Tous les apprentissages liés à ses explorations se trouvent également soutenus puisque que les neurosciences prouvent aujourd’hui que l’être humain apprend davantage dans un contexte bienveillant.
La considération de l’activité spontanée de l’enfant s’avère aussi très profitable à l’adulte. En saisissant les détails de l’action entreprise, l’adulte prend conscience de tout le processus d’apprentissage engendré par l’enfant, cela lui donne des occasions supplémentaires d’être fier de l’enfant qu’il accompagne. Par ailleurs, la relation considérante étant du genre gagnant-gagnant, le respect du cadre dessiné par l’adulte est très souvent bien accepté par l’enfant. L’adulte peut trouver dans la Slow pédagogie un certain allègement du fait qu’en laissant l’enfant aller au bout de ses explorations, celui-ci s’occupe plus longuement.
Décomposer les définitions du Larousse peut aider à regarder, avec plus d’estime, l’activité de l’enfant.
Nos yeux doivent physiquement se tourner vers l’activité en elle-même.
Il ne s’agit pas de voir l’activité mais bien de la regarder pour comprendre ce qui est entrepris. Dans « avec attention » il y a l’idée que le temps accordé est suffisamment long pour qu’il y ait une vraie considération. Tout juste une minute peut être considérée comme une attention longue au regard de l’absence total d’attention habituelle.
Voyez l’élan de curiosité et l’exploration, plutôt que la bêtise, la provocation ou la bravade. Rappelons que nous parlons ici de jeunes enfants ; ces derniers, animés d’un intérêt frugal pour tout ce qui les entoure, n’ont pas de limite dans leur champ exploratoire.
Cela ne signifie pas que le cadre et les limites ne doivent pas être posés dans le cas où l’exploration n’est pas permise, mais ils devront l’être de manière bienveillante car l’élan qui a porté l’enfant à la base de son action n’est pas condamnable.
Il a besoin de manipuler et d’éprouver avec tous ses sens pour comprendre.
Notamment dans son rythme. La répétition fait partie du processus constructif, l’enfant a donc besoin de renouveler plusieurs fois ces explorations.
L’emploi du terme “matériel” n’est pas un hasard.
Les jouets ne sont pas (et de loin !) les seuls supports d’éveil des jeunes enfants.
Citons par exemple les petites planchettes de bois dont la marque la plus connue est Kapla. Si les enfants adoptent largement ces planchettes si simples, si basiques c’est parce qu’elles possèdent une grande jouabilité. C’est à dire qu’elles peuvent être jouées de multiples manières. Tantôt elles sont éléments de construction, tantôt elles sont frites dans une casserole de dinette, etc… Pouvant être ré-inventées à l’infini, ces planchettes ont moins de chance d’être délaissées par l’enfant, en comparaison à un jouet dont la vocation est toute programmée. Au contraire, il joue même plus longtemps avec ce type de matériel car le sentiment d’avoir fait le tour des possibles du jeu n’est pas atteint. Notons aussi, qu’en décidant lui-même du destin de son matériel, l’enfant est réellement acteur de son jeu ; tous les bienfaits de cette posture (développement des compétences, de l’estime de soi, etc…) sont donc favorisés.
Il est fréquent de trouver du matériel d’éveil tout-en un, comme des boîtes à formes qui propose, selon les faces de découvrir les couleurs, les formes, l’alphabet ou encore le bruit des animaux. Tous ces éléments d’éveil réunis peuvent être confus pour l’enfant et ne facilite pas la focalisation de l’enfant sur le développement d’une compétence ; au contraire ils sont source de dispersion. Ainsi il est intéressant de trouver du matériel offrant une seule découverte. Selon son intérêt du moment l’enfant s’orientera alors par choix vers le matériel qui lui propose d’expérimenter ce qui l’attire : les ordres de grandeur (pyramide de cubes par exemple) ou les couleurs ou encore les formes (avec des encastrements par exemple). Cloisonner les apprentissages, les rend plus clairs et plus conscients.
L’enfant n’attend pas d’un objet qu’il soit appelé “jouet” pour avoir envie de le manipuler et d’en comprendre son fonctionnement. Pour lui, tous les éléments qui l’entoure sont des sources d’éveil. Il est même plutôt frustrant pour le jeune enfant de se contenter de faux-semblants (casseroles de dinette ou toutes autres répliques d’objets de la vie quotidienne). Parce que les tailles ne sont pas réelles, ni les couleurs, ni la fonctionnalité, il n’en veut pas ! C’est seulement après avoir pu toucher au réel, que l’enfant accepte le monde imité, soit vers 3-4ans généralement.
Ainsi une table peut devenir cabane, un meuble fait de cases ouvertes, un tunnel. Voir dans l’existant un tout autre potentiel permet de limiter les achats de matériel qui viendrait ajouter de l’encombrement.
Nous limitons parfois le jeu et l’imagination de l’enfant (et donc le temps passé à jouer en autonomie) en interdisant le mélange des genres. Il faudrait qu’il range les Kapla avant de jouer avec ses voitures ou ses animaux. Or l’enfant, par sa grande capacité à inventer peut imaginer construire un enclos pour ses vaches à l’aide de ses Kapla ou un parking pour ses voitures. Veillons donc à ne pas être responsable d’une fin précipitée du jeu de l’enfant par simple souci de rangement. Si l’idée de la quantité de matériel (évoquée plus haut) est respectée, il n’y aura d’ailleurs pas à craindre un désordre démesuré dû à cette permission de combiner.
L’adulte est bien souvent en quête d’activités à faire faire à l’enfant. Peut-être commet-il ici une première maladresse ? Pour s’éveiller, le besoin du jeune enfant réside plus dans le vivre que dans le faire. L’adulte doit donc davantage chercher des ateliers où l’enfant va vivre une expérience.
Encore une fois, le jeune enfant est animé par l’envie de devenir partie intégrante du monde qui l’entoure. Pour le saisir, il a donc besoin de le manipuler, de l’expérimenter. Les ateliers donnant accès à des matières notamment naturelles (terre, sable, eau, etc) sont très appropriées.
L’enfant investit son activité s’il sent en elle un potentiel de découvertes et de développement. Donnons pour exemple les ateliers permettant de visualiser la transformation (ex : fonte des glaçons) ou d’expérimenter les relations de causes à effets (projection d’images par la lumière).
Pour construire sa pensée logique, l’enfant a besoin de prendre note des étapes. Pour cela, il a besoin de faire, défaire et recommencer. Peindre sur une feuille de papier a un intérêt limité pour le jeune enfant car la dimension même du papier impose la fin de l’expérience. Peindre sur un miroir et disposer d’une éponge est une expérience tout autre car l’enfant va pouvoir recouvrir son support, le nettoyer et recommencer (peut-être d’une toute autre manière).
Pour les jeunes enfants, tous les moments de la vie sont sources d’éveil. Ainsi ils voient dans les tâches quotidiennes de l’adulte un potentiel de découvertes et d’apprentissages. Spontanément le jeune enfant a envie d’aider à ranger les courses, à plier le linge ou encore à essuyer la table avec une éponge. En plus de sentir ses compétences se développer, l’enfant trouve dans cette collaboration un partage riche avec l’adulte, fait de discussions (mise en mots des gestes de la vie courante) et de complicités.
Lorsqu’on demande à un adulte d’évoquer un bon souvenir de sa prime enfance, c’est, dans la plupart des cas un moment vécu qui est raconté (plutôt que la citation d’un jouet en particulier). Cela donne une information intéressante sur ce que l’adulte peut offrir à un enfant. Une balade à la rivière, un après-midi bricolage, une soirée dans une cabane marquent à coup sûr les esprits et représentent des cadeaux d’une valeur très importante aux yeux de l’enfant (souvent plus qu’un énième jouet).