Le minimalisme matériel : faire plus avec moins.

Le marché du jouet a cette caractéristique d’être particulièrement séduisant. Les couleurs et les textures appellent le regard et le toucher, elles sont évocatrices de joie et de douceur ; les formes et les fonctionnalités (apparaissant comme inédites et ingénieuses) rendent irrésistible le test de manipulation.  Les jouets et le matériel éducatif ont donc beaucoup de choses en leur faveur pour engendrer l’acte d’achat.

Les descriptions associées à ces articles ajoutent de la légitimité à l’investissement : elles détaillent tous les apports – formidables voire révolutionnaires- du produit ; l’article dégage ainsi rapidement l’impression d’être indispensable, d’être la nouvelle solution pour palier à ce qu’il nous manquait. Nous gagnons alors progressivement en matériel.

Pourtant il n’est pas rare, de rencontrer de la déception suite à ce type d’achats. Les nouveaux jouets qui, pensait-on, allaient enfin occuper des heures durant les enfants, semblent ne pas toujours tenir leurs promesses. Les adultes sont alors désappointées : déçus d’une part d’avoir « perdu » de l’argent et ont d’autres part l’impression d’être désormais encombrés.

La démarche de Slow pédagogie propose de s’orienter vers le minimalisme matériel.

Voici plusieurs axes qui permettent cela.

Le matériel à haut potentiel regroupe ces objets dont la vocation est peu (voire pas du tout) prédéfinie. Plus l’objet est neutre, plus il peut être ré-inventé. Il va donc pourvoir largement (et de manière relativement infinie) servir l’imagination de l’enfant.

Voici ci-dessous quelques exemples de matériel générique à haut potentiel. Vous trouverez dans le blog un article dédié à notre matériel coup de coeur.

Investir dans du matériel à haut potentiel

- Les planchettes en bois

- Les briques

- Les arcs

- Les tubes

- Les loose parts

Les loose parts (pièces détachées en anglais) sont toutes sortes d’éléments qui ont été ramassés dans la nature ou qui sont issus de recyclage, de marges ou de rebuts industriels.

(Certaines marques fabriquent désormais spécifiquement des « loose parts » destinées à l’univers du jeu).

Loose parts
Loose parts

Retenons que le matériel à haut potentiel a ce triple intérêt :

- il détient une grande jouabilité ;

- il est porteur de créativité ;

- il limite les investissements (et donc l’encombrement des placards).

Chaque matériel a une identité, il porte un nom. Ce nom l’associe à un usage précis. L’adulte, porté par ces définitions, est alors guidé pour utiliser tel et tel matériel selon l’usage convenu. Un plateau fixe doté de 4 pieds et un dossier s’appelle une chaise. La chaise est définie comme un objet pour s’asseoir. L’adulte l’utilise donc à cet effet.  Le jeune enfant fonctionne, lui, plutôt selon le mécanisme de l’affordance. C’est l’objet lui même qui lui évoque son utilisation, sa fonction. A partir des caractéristiques de l’objet, l’enfant l’aborde de telle ou telle manière. Un matériel creux va par exemple l’inciter à glisser quelque chose à l’intérieur de celui-ci, un élément arrondi va le conduire à envisager une action de roulement, etc.

Les tout-petits accordent donc spontanément beaucoup plus d’usages à un même matériel que sa définition le prévoit. Les chaises peuvent être pour eux des chariots de marche, on les verra donc s’y accrocher et les pousser dans la pièce pour avancer. Elles peuvent être, selon leur taille, des tunnels, on verra alors les enfants ramper dessous. Elles peuvent être promontoires, les enfants grimperont alors sur elles pour prendre de la hauteur.

Ainsi, ils découlent, de l’observation des agissements par affordance, de nombreuses idées à exploiter pour démultiplier les vocations d’un même matériel. Bien sûr, une réflexion de l’adulte est nécessaire pour conclure de l’acceptation de ces détournements d’objets. S’ils sont acceptés, l’environnement où évolue l’enfant élargit ses possibles.

Ce fonctionnement propre aux jeunes enfants initie l’adulte à ces détournements d’objets. Peu à peu, il abandonne les définitions collées à chaque matériel et apprend (ou plutôt ré-apprend – car il a déjà eu cette capacité quand il était lui-même enfant) à poser un regard novice sur celui-ci. Un regard qui s’attache d’abord à considérer les propriétés de l’objet (ses formes, ses composants, ses textures, etc) car ce sont elles qui impulsent les exploitations possibles. Familiarisé et en confiance avec le fait de détourner le matériel, l’adulte ose, assez naturellement, bousculer les convenus et propose de lui-même des utilisations revisitées du matériel présent.

A ce stade, où enfants et adultes agissent de concours dans le détournement du matériel, l’élargissement du potentiel de l’équipement détenu se trouve accéléré. Les investissements se font moindres. Les adultes, plutôt que de recourir à l’achat de matériel spécifique, alignent volontiers un banc, un marche-pied et une caisse renversée pour créer un super parcours de motricité; les dessous de table joints à des couvertures remplacent l’acquisition de cabanes toutes faites.

Ici une exemple où des briques de constructions deviennent de formidables accessoires d’apprentissages :

Détourner l’usage prédéfini

Le minimalisme développe la créativité de l’adulte. Il peut même contribuer à rendre le quotidien plus « fun » dans le sens où l’adulte s’autorise à sortir du cadre des conventions sociales.

Exploiter le recyclage et

les ressources de proximité

Les spécialistes de puériculture et de jouets ont longtemps été les seuls référents en termes d’équipements petite enfance. L’aire du tout neuf semble aujourd’hui laisser une place à d’autres canaux d’approvisionnement, comme par exemple le recyclage ou l’utilisation de ressources de proximité (dons ou prêts de matériel).

Les neurosciences, en démontrant ce dont a besoin l’enfant pour développer ses compétences, ont facilité cette ouverture. L’enfant a besoin de créer, ainsi lui faut-il des objets sur lesquels il puisse être acteur ; il a besoin de prendre des risques, ainsi lui faut-il un environnement où il rencontre l’instable et l’imprécision.

L’enjeu est de réussir à créer un univers à la fois sécure et apprenant. Les objets du quotidien qui donnent une multitude d’informations à l’enfant sur le monde qui l’entoure, les éléments de la nature (comme les rondins de bois) qui permettent d’appréhender le risque, les déchets recyclables utilisés pour rejouer la vie réelle ou, au contraire, pour devenir les sujets choisis selon l’imagination de l’enfant, font assurément partie des éléments contribuant à créer un environnement apprenant.

Il est possible de se rapprocher de commerçants, d’artisans ou d’industriels chez qui on peut trouver des matériaux plus inédits et spécifiques ( gros rouleaux en cartons, chutes de tissus, pièces de bois ou de plastique, etc).  Chez des agriculteurs, on trouvera de la paille, dans une scierie on trouvera de la sciure de bois, autant d’éléments naturels très appréciés dans les ateliers de manipulation. Les recycleries et ressourceries deviennent des lieux intéressants pour dénicher multitudes de cuillères en bois, passoires ou accessoires vestimentaires qui alimenteront parfaitement les jeux d’imitation des jeunes enfants.

Si exploiter ces canaux d’approvisionnement permet indiscutablement de faire des économies, ce n’est pas le premier but recherché (mais plutôt l’agréable conséquence). S’orienter vers le recyclage, les dons et la mutualisation de matériel, est aujourd’hui une voie reconnue pour construire un environnement approprié aux besoins de l’enfant en lui mettant à disposition le matériel nécessaire à l’émergence de ses compétences.

Le minimalisme matériel ne prive de rien. Au contraire, il aurait cette capacité d’alimenter des univers ludiques pédagogiquement prometteurs tout en offrant un environnement global préservé de l’impression désagréable d’encombrement.